«Pendant longtemps, tout au moins jusqu'à l'âge
de huit ou neuf ans, j'ai vécu le fait d'être musulman
le vendredi et dans les vignes de mon grand-père
le samedi sans trop souffrir de la contradiction.
Mais, régulièrement, mon esprit se trouvait ramené
à la même énigme : pourquoi ces univers ne communiquent-ils
pas entre eux, alors qu'ils sont côte à côte ? Mon grand-père
auvergnat et athée ne parlait jamais de l'islam. Je
voyais les musulmans rester beaucoup entre eux. Et moi au milieu. Un
électron libre. Tantôt chez les uns, tantôt chez les autres.
Était-ce là le sens de ma vie, de faire enfin communiquer ces deux mers
qui se touchent sans mêler leurs eaux, cet Orient et cet Occident qui se
côtoient sans vouloir se reconnaître ? Le petit garçon que j'étais a dû se
figurer que c'était là sa responsabilité à venir, effectivement. Une
responsabilité née de l'amour et de la peine : amour de mon grand-père
athée, amour de ma mère musulmane, peine de voir que l'islam était
entre eux comme un mur. J'aurais tout donné alors pour détruire ce mur.»